[Printemps-été 2013]
Galerie Graff, Montréal
Du 11 octobre au 3 novembre 2012
Par Sylvain Campeau
Après Parcours, scènes théâtralisées fondées sur la référence du film noir, en 2008, dans la même galerie, Alain Laframboise nous revient avec Figures. Cette fois, il y a cependant ceci de différent que les figurines et poupées ici utilisées pour créer une scène ne sont plus scénographiées de manière aussi efficace qu’elles l’étaient auparavant. Il n’est plus ici question de décor confondant, indécis entre effet théâtral et plat réalisme. Nous sommes bien en face, et cela est clair, de figurines et poupées de diverses tailles et usages, et aucune composition ou décor ou effet de scène ne vient ici suggérer autre chose que cette facticité de figuration peu humaine.
Elles sont d’ailleurs, sauf une, dans des environnements qui n’ont certes rien de spectaculaire. Certaines sont même, comme dans La foule, dans une simple valise, entassées les unes près des autres, nous faisant face. Celles-ci étaient d’ailleurs relativement semblables, appartenant de façon très apparente, pour la plupart, à une même culture et à une même époque. Mais cela n’est pas toujours le cas. Dans des cadrages plus serrés, dans des lieux d’entreposage domestique dont on devine les couleurs fades, sombres, surannées, d’autres montrent des visages, des tailles et des matières qui les différencient fortement. Elles sont toujours aussi serrées les unes contre les autres, militantes et même militaires, comme dans Une histoire ; cinématographiques, tout de même, dans Premier plan ; poignantes dans Perdus.À tout prendre, caressées par des éclairages latéraux qui rendent encore plus pulpeuse leur plastique reluisante, elles sont émouvantes à ainsi se penser investies de sentiments humains, à s’imaginer plus humaines que leurs modèles. Pour un peu, et plus particulièrement pour ce qui est de La Nymphe, on croirait voir les poupées perverses de Hans Bellmer, mais, pour la plupart, elles sont moins sensuelles que tout simplement sensibles.
C’est là que semble résider le paradoxe. Alain Laframboise avait, jusqu’à maintenant, opté pour la théâtralisation, les effets de réel, créant des scènes dont on pouvait croire, à les regarder rapidement, qu’elles étaient des saisies du réel plutôt que des maquettes construites. Ici, le doute n’existe plus ; l’effort de simulation est tout ce qu’il y a de plus clair. Plus, regardant La foule, on s’imagine être soi-même regardé par toute cette audience. Ils et elles sont là, joyeux et joyeuses, hilares, presque célébrants du spectacle que nous leur offrons, logés dans l’estrade étrange que forme cette valise ouverte. Nous nous imaginons comme eux, semblables niais, captivés par un des écrans nombreux qui sont aujourd’hui notre lot, épatés par quelque télé- ou webdiffusion sans mordant. Dans Une histoire, c’est l’allure martiale qui nous frappe, le pied gaillardement levé de l’un des figurants, l’armure romaine d’un autre en personnage ailé, Mercure conquérant, dans cette scène à laquelle assiste un personnage éminemment papal. Premier plan offre l’exotisme des statues montrées, leur grès râpeux ou leur laque lisse, mais par son titre il suggère surtout l’art cinématographique, la première prise, à moins que ce ne soit cet agencement et cette mise au foyer insistant sur l’avant-plan, rejetant le reste dans un arrière-plan sombre, qu’il faille retenir.Bref, les références sont nombreuses et diverses. Une seule des images contient une allusion directe à une iconographie picturale connue, La Nymphe, évidemment. Pour le reste, grande variété et peu de choses en commun. Il en va comme si une semblable matière simulatrice prenait les accents de toutes les formes de représentation possibles. Même ainsi soumises aux aléas de celles-ci, les images s’imprègnent de tout ce que nous choisissons de projeter sur elles.
En fait, c’est sans doute là ce qu’il y a de plus réussi dans cette série. Dans Parcours, la médiation était camouflée dans le détournement du factice en potentiellement réel et l’enjeu tenait tout entier à cela, à montrer des scènes tenant lieu du réel mais ne s’y confondant pas, même si leur caractère simulé ne se révélait pas sans effort. Demeurait tout de même une sorte d’indécidabilité entretenue, dont on était tout occupé. Avec Figures, plus rien ne reste de cette indécision. Nous sommes d’emblée dans le travail, avoué, de médiation. J’ai parlé, précédemment, de Bellmer. Lui donnait ouvertement dans l’évocation pornographique, et la perversité venait du fait de recourir à des avatars pour stimuler et entretenir le désir. Il en va comme si la perversité, c’était en fait de devoir recourir à des intermédiaires pour en arriver au plaisir ; c’était de ne pouvoir arriver, seul, à la jouissance. Par contraste, ne rien demander d’autre à l’avatar qu’être là, qu’être ce tenant-lieu qui apparaît sans objet et sans action, en sa seule qualité de tenant-lieu, et de voir en lui cette tentative constante de projection de nos fantasmes nous en rendant le spectacle plus sensiblement opérant. Nous sommes dans le sensible et le sensuel… sans objet autre que l’affect pur.
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, ETC, Photovision et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.