[Printemps-été 2013]
VU, centre de diffusion et de production de la photographie, Québec
Du 12 octobre au 30 novembre 2012
Par Gentiane La France
Dressant le portrait énigmatique d’une ville qui plonge ses racines dans la ruée vers l’or de la fin du XIXe siècle, le projet photographique The Idea of North de Birthe Piontek a fait l’objet d’une exposition, du 12 octobre au 11 novembre 2012, dans l’Espace américain au centre VU à Québec. En réalité, ces photographies sont issues d’une résidence de création que l’artiste a effectuée à Dawson City, localité située à l’embouchure de la rivière Klondike qui se jette dans le fleuve Yukon au nord du 60e parallèle. Durant ce séjour, Piontek est allée à la rencontre d’habitants et de lieux dans ce village au fin fond du territoire du Yukon. La bourse de publication Critical Mass accordée par Photolucida a permis à cette série de se concrétiser en une monographie composée d’une quarantaine de photographies dont un peu plus de la moitié a été sélectionnée pour les cimaises de VU.
Artiste allemande résidant à Vancouver, Birthe Piontek a auparavant élaboré une démarche photographique sur des thématiques liées à l’identité et au lieu, souvent par le biais de portraits équivoques et de mises en scène étranges d’où la figure humaine est absente. De jeunes adultes et des adolescents, portant souvent leur regard hors du cadre, sont l’objet de la recherche de Piontek touchant les mutations de l’identité qui affectent l’adolescence. Dans la même veine, les portraits de The Idea of North sont caractérisés par un isolement des figures et des jeux de regards, ce qui confère à la fois dignité et vulnérabilité aux personnages. Toutefois, les photographies de paysages, de vues d’intérieurs et de détails sont moins mises en scène que dans les autres séries de Piontek. On retrouve ici le résultat d’une démarche comparable au documentaire qui relève plutôt de l’exploration du territoire, caméra en main, en quête de cabanes retapées, de paysages sombres ou encore de détails inusités.
La mise en exposition se découpe en quatre séquences réparties sur les quatre murs de la galerie ; celles-ci ne sont pas tant des narrations linéaires que des regroupements dont l’équilibre formel entre le centre et les extrémités est travaillé depuis l’alternance des portraits et des scènes. Il s’avère alors que l’association des contenus des images sans titre semble plutôt arbitraire, ce qui invite l’imaginaire du spectateur à participer à cette histoire non racontée. Alors l’alternance des deux genres permet d’instaurer un dialogue visuel entre lespersonnages et les lieux photographiés qui peut amener le spectateur à inventer une territorialité propre. Ce dialogue entre les photographies n’est pas sans rappeler celui à l’œuvre entre le lieu et l’individu dans un processus de construction constante de l’identité.
Par ailleurs, l’artiste expliquait en entrevue que la grande majorité des personnes qu’elle a photographiées ne sont pas nées à Dawson City. Ce sont divers individus qui ont migré en quête d’un changement de vie, d’identité. Attirés par ce nouveau lieu, peut-être empreints de l’imaginaire du chercheur d’or, de l’explorateur ou de l’aventurier, les personnages de The Idea of North ont choisi une nouvelle vie dans un nouveau territoire. S’inscrivant en rupture avec leur passé, et laissant leurs racines loin derrière, ces gens ont fait du Nord un espace de projection, espace vierge et sauvage qu’ils ont sciemment élu. Dans les portraits de Piontek, les airs songeurs des modèles pourraient évoquer cette projection sur le territoire où s’est constituée, avec le temps, chez eux, une appartenance au nord, une nordicité. Ainsi, tout comme avec les adolescents de ses projets antérieurs, l’artiste nous fait découvrir des identités qui se transforment ; cette transformation est néanmoins délibérée à présent.
Les lieux représentés dans The Idea of North sont souvent investis d’une certaine désolation qui les dote d’une ambiance mystérieuse. Si l’artiste se réclame d’une esthétique inspirée de David Lynch, notamment celui de la série Twin Peaks, l’étrangeté est toutefois plus subtile chez Piontek que dans les intrigues lynchéennes. Paysages brumeux, bicoques rafistolées, peau de bête tendue, coin d’herbe couchée, cimetière d’électroménagers à ciel ouvert ou encore chien-loup attaché au milieu du bois sont des éléments qui participent d’un ensemble énigmatique révélateur d’une espèce d’exotisme nordique. Mais, en deçà de l’imaginaire du Nord, c’est un mode de vie rustique qui se devine, sans eau courante, sans électricité, car les habitants de Dawson City doivent composer avec la rigueur du climat et les aléas de l’éloignement, ainsi qu’avec les jours et les nuits sans fin ; mais cette réalité sensible, justement la photographie ne saura jamais la rendre.
Car cette ambiance mystérieuse émanant de The Idea of North c’est aussi l’opacité de la photographie qui est savamment poétisée par l’artiste. De cette série évocatrice émergent en effet des intrigues sans question, qui détournent les images du simple propos documentaire ou sociologique sur la réalité nordique.
Gentiane La France poursuit actuellement une maîtrise en études des arts à l’Université du Québec à Montréal. Son champ d’intérêt porte notamment sur l’identité et la mémoire dans la photographie actuelle.