[Hiver 2014]
Galerie Donald Browne, Montréal
Du 4 mai au 15 juin 2013
L’exposition que présente Gabriel Coutu-Dumont sur les murs de la Galerie Donald Browne est inséparable des circonstances qui ont vu naître la série qui y est montrée. Boursier du CALQ, l’artiste était en résidence en 2010 au Centre for Contemporary Arts – CCA, à Glasgow, en Écosse. Celui-ci est situé sur la rue Sauchiehal, mot gaélique qui signifie « allée des saules ». Artère distinguée au XIXe siècle et au début du XXe, elle est encore un lieu passant même si le dernier saule a été déraciné en 1906.
C’est là qu’un beau samedi soir Gabriel Coutu-Dumont décide de monter un studio de fortune, en pleine rue. Un simple fond noir détache les modèles choisis de leur environnement immédiat où ils retourneront tantôt, passants arrêtés au hasard, dans la nuit, vraisemblablement assez tard. Une lumière en provenance de la gauche les transfigure et enrichit l’étoffe de leurs vêtements.
On ne peut pas regarder le résultat final de ces prises de vue sans souligner cet aspect performatif. L’acte est fondamental. Il renoue avec celui des photographes ambulants des premiers temps de la photographie, alors que les images étaient fixées sur daguerréotype et que l’appareillage était bien plus lourd qu’il ne l’est aujourd’hui. N’en demeure pas moins que l’artiste a voulu rester dans le ton ; il s’en est donc remis à la photographie analogique, travaillant avec un appareil 6 x 7. Du geste naît donc une série de portraits confondants. Lumière, drapé des tissus, pose classique des sujets ; tous les signes indiquent des références assez évidentes : Rembrandt et l’esthétique picturale flamande du XVIIe siècle, avec des personnages de tous sexes et classes sociales représentés dans leur quotidienneté. Mais à cette esthétique feutrée et éminente viennent s’opposer les indices du vêtement et de coutumes du XXIe siècle : blousons de cuir, jeans, cardigans, chandails à capuchon, piercings apparents, tatouages, cheveux teints aux couleurs vives. Si bien que chaque image semble un paradoxe, prise qu’elle est entre, d’une part, une référence illustre, la lumière caressante des artistes hollandais, le satiné des visages et les marques d’une modernité débridée. Devant elle, on ne sait trop si on doit ou non être heureux que de telles constantes puissent encore surgir sous un attirail vestimentaire aux accents décadents, alors qu’apparaissent parfois des signes de nonchalance ou de forfanterie éthylique.
Voilà pour la contemplation distinctive de chacune des photos. Mais après cela, il reste à apprécier la disposition générale du tout dans l’ensemble installatif. En effet, les images forment un bloc sur le mur, assez rapprochées les unes des autres. La plupart sont rectangulaires, certaines sont ovales ; d’autres, pour finir, sont plus petites mais disposées entre elles de manière à couvrir un espace proportionnel à celui des grands rectangles, proposant une grille d’observation qui permet à la fois le coup d’œil intrusif et le constat typologique, tous deux portés sur les physionomies. Cet examen à distance renforce l’aspect performatif de l’opération. Nous ne sommes plus, bien que nous puissions choisir de vivre ainsi l’expérience, devant des images prises individuellement.
Nous sommes les examinateurs d’une stratégie de prise et de rendu esthétiques. Sommes-nous les expérimentateurs d’images issues d’une esthétique de la disparition ou du renouveau ? On ne sait trop. Tout est là : l’entreprise joue de ses paradoxes. Images modernes prises sur le mode d’autres images anciennes, créées selon les modalités d’une facture esthétique révolue. Photos prises selon un modus operandi datant du prénumérique, dans une allée qui doit son nom à des arbres dont il ne reste plus aucune trace. De même la logique d’opération, cette saisie photographique, est tout entière elle aussi pénétrée d’une instance performative. Sa présentation finale, elle, obéit aux principes du mode installatif, mode idéal pour une mise en doute et une représentation de second degré. Ici, les images et leur présentation particulière ne peuvent être appréhendées sans qu’il nous devienne évident que l’ensemble joue à adopter des postures, réflexes, modalités de présentation, modes opératoires recoupant des modèles esthétiques issus de genres fort différents, détournant sans cesse le sens de ce qui nous est proposé. Mais au lieu de mettre en procès, de jouer de ces diversités esthétiques pour les opposer ou pour en offrir la critique, l’ensemble final en joue par une sorte de stratégie de cumul. Cette surenchère crée un ensemble esthétique qui déborde et catalyse la représentation, la marquant du sceau du surpassement des limites des genres en cause. Bref, il y a là quelque chose comme une transversalité esthétique, qui nous prend de court.
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, ETC, Photovision et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.