James Coleman, On récolte ce que l’on sème — Stephen Horne

[Hiver 2022]

Par Stephen Horne

« Un être courant vers l’avenir en croise
un autre courant vers le passé, deux empreintes qui
s’effacent mutuellement à l’infini, de
la pointe au talon, du talon à la pointe.
»
– W. B. YEATS 1

[Extrait]
Les installations cinématographiques complexes de James Coleman exposent la beauté et le plaisir du « regard ». L’expérience esthétique à laquelle je fais allusion trouve son origine dans la notion de « jeu », telle qu’on la comprend dans un contexte de théâtre, où elle renvoie notamment à la pratique, et même au prétexte, de la dissimulation. Ou même de la duperie, dans le sens où l’on pourrait dire que les médias de masse « jouent » avec nous – le jeu comme « dérapage » ou synonyme d’ambiguïté. Les installations cinématographiques de Coleman sont créées à partir du jeu qui peut exister entre mots et images, son et vision, et sont intensément habitées d’une conception temporelle tournant autour du vide ou de l’absence. La démarche de l’artiste consiste en une intervention critique dans un rationalisme qui « encapsule », ou contient le passage du temps avec une exigence de cohérence, d’unité et de progression linéaire. Michael Snow a été une inspiration importante pour Coleman, qui a fait sienne la phrase du premier « Il y a quelque chose dans la répétition2 ». Une rétrospective des installations de Coleman a été présentée à l’été 2021 au Centre Pompidou à Paris3.

Les projections d’images de Coleman sont cloisonnées dans une salle obscure, alors que le dispositif de projection est exposé, faisant partie intégrante de l’expérience spectatrice. Dans certaines de ses œuvres, l’artiste emploie la technique du montage audiovisuel, un système qui synchronise son et image, adapté d’un usage commercial. D’autres pièces sont présentées sous forme de films, de films en boucle et de vidéos. Le dispositif de projection dans son ensemble est une référence essentielle. Une « image projetée » a les vertus de ses propres défauts quant à son potentiel de permanence. Coleman adopte certains aspects du théâtre et des médias, comme l’enregistrement, la conservation et la restitution. Ses installations ont l’apparence d’une intervention sous forme de mise en scène préparée en studio, avant d’être filmée, comme si l’on revenait légèrement dans le temps pour découvrir l’œuvre en production. Paroles et images sont liées, mais sans relations dans une quelconque séquence prévisible.

Avant d’aborder la rétrospective de Pompidou, j’aimerais m’attarder à une pièce plus ancienne, remarquable. Box (ahhareturnabout) (1977), une projection cinématographique en boucle, nous installe déjà au beau milieu d’un événement et d’une histoire. Il y a un mécanisme de projection dans une salle sombre, cette dernière résonnant d’un impact sonore rythmique à la fois tonnant et grinçant. Les images et les sons, ponctués de cadres noirs, sont autant de chocs. Le son est difficile à situer, émanant de la sensation que l’on a de son propre corps.
Traduit par Frédéric Dupuy

1 W.B.Yeats, A Vision, Londres, MacMillan, 1962, p.2012.[Notre traduction.]
2 Michael Snow, cité dans Martha Langford, Michael Snow: Almost Cover to Cover, Londres, Black DogPublishing,2001,p.73.
3 Sobrement intitulée James Coleman, elle s’est tenue du 9 juin au 23 août 2021. Coleman, né dans l’Irlande rurale en 1941, vit et expose principalement en Europe.

  
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 119 – CONTRE-NATURE ]
[ Article individuel, en numérique, disponible ici : James Coleman, On récolte ce que l’on sème — Stephen Horne ]