Errance Sans Retour, « Ils ont aussi tué mon père » — Pierre Dessureault

[Hiver 2022]

Par Pierre Dessureault

[Extrait]
« Nous ne sommes pas devant les images ; nous sommes au milieu d’elles. Comme elles sont au milieu de nous. La question est de savoir comment on circule parmi elles, comment on les fait circuler1.» Cette vie des images sans cesse relancées dans divers contextes de présentation est au cœur du travail humaniste de Renaud Philippe sur l’actualité des Rohingyas du Myanmar, tant dans son volet photojournalistique publié dans plusieurs quotidiens que dans sa participation au film Errance sans retour de Mélanie Carrier et Olivier Higgins et à l’exposition homonyme conçue pour le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ)2. Dans un premier temps, son reportage photographique sur ces réfugiés contraints à l’exil au Bangladesh, en raison des persécutions religieuses dont ils sont victimes dans leur pays d’origine, peint un portrait complexe qui fait une synthèse de la question en mettant en jeu le poids des photographies et des mots. Le film, lui, plonge dans le quotidien du camp, où s’entassent ces déracinés, grâce à la diversité des narrations de personnes en chair et en os qui, par leurs paroles porteuses d’un vécu et leurs gestes saisis dans la durée de l’image en mouvement, bousculent les opinions de la bien-pensance. En installant une communauté d’images hétérogènes dans laquelle cohabitent les photographies de Philippe, des images filmées, des dessins d’enfants, des témoignages oraux, des artéfacts, un environnement sonore, ainsi qu’un diorama de l’artiste Karine Giboulo, l’exposition crée un espace ouvert au temps de la réflexion et enclenche un processus au long cours dans lequel les certitudes sont passées au crible du jugement critique et remises en jeu.

Depuis plus de 15 ans, Renaud Philippe a produit nombre de reportages photographiques portant sur des questions d’actualité au Soudan, en Haïti, en Inde, au Népal, en Thaïlande, au Kenya, au Pakistan, ainsi qu’au Canada. Le fil conducteur de ces travaux relevant du documentaire est le sort des humains placés par l’histoire dans des conditions extrêmes. Ce n’est pas le caractère événementiel des catastrophes naturelles ou des conflits politiques qui l’intéresse, mais les drames collectifs que ceux-ci engendrent. Suivant le même principe que pour ses autres reportages, où la familiarité avec le sujet et la recherche sur le terrain sont primordiales, Philippe a séjourné trois semaines en janvier 2018 dans le camp de Kutupalong, au Bangladesh. D’une superficie de treize kilomètres carrés, ce camp, le plus grand au monde, accueille 700 000 exilés rohingyas vivant dans le plus grand dénuement…
Translated by Käthe Roth.

1 Jacques Rancière, « Le travail de l’image », dans Multitudes, vol. 28, no 1, printemps 2007, p. 198.
2 Errance sans retour a été conçue par Mélanie Carrier et Olivier Higgins et produite par MÖ FILMS, en collaboration avec Renaud Philippe. Elle a été présentée du 14 mai 2021 au 20 février 2022.

  
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 119 – CONTRE-NATURE ]
[ L’article complet et plus d’images, en version numérique, sont disponibles ici : Errance Sans Retour, « Ils ont aussi tué mon père » — Pierre Dessureault ]