Sandra Larochelle, 305 – Samuel Larochelle

[27 octobre 2020]

 

Par Samuel Larochelle

Lorsque la mécanique d’embourgeoisement a sonné le glas des ateliers d’artistes au 305, rue Bellechasse, la photographe Sandra Larochelle s’est empressée d’aller à leur rencontre, afin d’immortaliser leur expérience. Une façon pour elle de rendre hommage à l’espace qui l’a vue naître artistiquement et de poursuivre son travail bien personnel sur la mémoire.

Au terme de ses études en photographie, en 2015, la créatrice a ressenti le besoin d’avoir un lieu où son univers pourrait se déployer. « Je cherchais un endroit pour m’étaler, en mettant des images et des textes qui m’habitent tout au long du processus, se souvient-elle. Quand j’ai visité un atelier au 305, j’ai tout de suite vu un espace accueillant et lumineux, avec beaucoup de vécu, du bois partout et des plafonds assez hauts, où je pourrais côtoyer des gens avec d’autres pratiques. Ça me semblait un environnement propice pour faire les choses autrement. »

Le marché immobilier a toutefois eu raison de son premier espace artistique. « Comme c’est le cas avec plusieurs secteurs industriels, des artistes ont investi certains immeubles en profitant de tarifs très accessibles, d’une bonne superficie et d’une localisation assez centrale. Peu à peu, le quartier est devenu populaire, entre autres grâce à leur présence. Les immeubles ont pris de la valeur et les propriétaires ont voulu récupérer les lieux. »

Malgré un an de négociations pour maintenir les ateliers au 305, rue Bellechasse, la réalité a frappé : tous les artistes devraient graduellement partir. Le deuxième étage, où se trouvait l’atelier de Sandra Larochelle, a été le premier à se vider durant l’hiver 2020.

Spontanément, celle qui avait déjà l’habitude de photographier le bâtiment aux spécificités architecturales fascinantes s’est demandé comment conserver des images de ce lieu déterminant. « J’étais émue d’avoir à le quitter. Un jour, j’ai eu l’idée de rencontrer les autres artistes pour les photographier sur place, comme une forme d’album souvenir sur leur rapport à l’édifice. Cependant, plus j’avançais, plus je réalisais qu’ils chérissaient davantage leur expérience au 305 que la coquille de la bâtisse elle-même. »

La nostalgie et la mémoire sont au cœur de sa pratique. « À mes yeux, la photographie est le rapport exact de ce qui se déroule devant moi ou l’interprétation d’un moment. Et je crois que les images fortes ne le sont pas nécessairement par leur composition ou ce qu’elles reproduisent, mais par les souvenirs qu’elles ramèneront. »

Par ailleurs, sa vie personnelle a été marquée par l’Alzheimer avec lequel son père a composé à la fin de sa vie. « Sa maladie m’a amenée à me questionner sur ce que je veux garder en mémoire et la façon dont ça survivra. Sans être omniprésent dans mon esprit, cet élément n’était pas anodin. Je me suis lancée en photographie alors que cette réflexion occupait une grande place dans ma vie. »

Réfléchissant depuis longtemps à un projet sur l’effacement des souvenirs et travaillant depuis peu sur les photos au 305, l’artiste a vu un appel de dossiers de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal pour des projets artistiques extérieurs, afin de rendre les œuvres accessibles à tous en temps de pandémie.

Tous les éléments étaient réunis pour qu’elle propose une exposition sur les palissades publicitaires à l’angle des avenues Laurier et Papineau. « C’est un coin abandonné, avec du potentiel, que les gens s’approprient de façon ponctuelle. Je trouvais que ça mettait en valeur la précarité des artistes. Avec la collaboration de la designer graphique Zoé Brunelli, je voulais que les photos soient collées au mur dans une forme de scénographie réfléchie et imprimées sur du papier fragile, qui s’effiloche avec le temps. »

Entre le 17 et le 31 août 2020, les passants ont pu découvrir l’activité au cœur du 305, rue Bellechasse. « Mon objectif était de mettre en lumière les gens qui occupaient l’espace, et l’espace en tant que tel. Sans les dénaturer, je voulais les photographier avec la nostalgie que je porte à leur égard. »

Parfois, elle montre des œuvres réalisées dans un atelier. D’autres fois, on perçoit un flou dans l’image qui évoque le déplacement d’un artiste. « C’était ma façon de créer des images qui sous-entendent une espèce d’urgence, quand tout va trop vite et qu’on est en plein chamboulement. Cela dit, ce n’était pas quelque chose d’inventé. Les artistes partageaient ce sentiment avec moi. Je me permettais ensuite de donner ma perspective au moment où tout ça se déroulait. »

 

Sandra Larochelle est une photographe indépendante basée à Montréal. Membre du collectif  l’Archipel, elle mène de manière parallèle des projets en arts visuels et en photographie commerciale. Elle a un intérêt marqué pour le photoreportage et le portrait, et pour les rencontres uniques qui en découlent. La mémoire, les souvenirs et l’identité sont au cœur de sa pratique. www.sandralarochelle.com

Samuel Larochelle est journaliste indépendant (La Presse, Caribou, L’actualité, Les Débrouillards, Elle Québec, Fugues, etc.), écrivain, biographe, scénariste, poète, producteur et animateur d’événements culturels. Il écrit avec passion sur une multitude de sujets, dont les arts, les voyages et les sports, mais aussi dans les domaines de la santé, de l’alimentation, du travail et de l’économie régionale, parmi d’autres.