Anne-Marie Zeppetelli – Sylvain Campeau, Corps et traces

[Printemps 1997]

L’autoportrait est «le projet secret de toute autobiographie». Dans l’autoportrait, c’est en effet moins le récit des événements vécus par le narrateur qui importe que le portrait qu’il offre de ce qu’il est, sur le vif.

Organisé en thèmes plutôt qu’en une suite narrative, l’autoportrait se constitue grâce à une série «de rappels, de reprises, de superpositions ou de correspondances entres des éléments homologues et substituables» .

par Sylvain Campeau

Ces rappels, reprises et correspondances apparaissent plutôt, dans ces œuvres d’Anne-Marie Zeppetelli qui revendiquent le titre d’autoportrait, comme des palimpsestes, résultats des superpositions et des pauses longues pendant lesquelles des fantômes se constituent, passants venus de la différence de rétention entre leur monde personnel et celui de la photographie. En ces images, il en va un peu comme de cet art de mémoire dont parlait Cicéron où, sur des lieux formant la nomenclature du dispositif de mémoire (les loci), s’impriment des images signifiantes mais fluentes (les imagine). Il y a, en elles, en effet, des lieux qui offrent un cadre, découpent un horizon, appartiennent vraisemblablement à des espaces connus et familiers à l’artiste. Ces sous-bois, extérieurs, clairières, bords de lac et autres, sites toujours nocturnes, relèvent d’une nature proche et secrète. Les intérieurs sont cuisine, salle à manger, salon, salle de séjour décorée sans affectation. Chacun est surchargé d’objets qui sont autant de signes, colifichets et petits riens, que l’on garde par-devers soi mais qui sont ici signes du familier, accessoires d’une scène soigneusement préparée, trop-plein d’une intention signifiante, désireuse d’indiquer le fait que tout cela appartient au quotidien, obéit à une suite du temps où chaque jour est marqué d’une nouvelle babiole, comme d’une croix marquant le passage du temps.

Puis, il y a les nombreuses références à l’inscription : ainsi, dans Birthday et Ritual sont jumelées des reproductions de textes écrits et des scènes où des mains vaguement incorporelles écrivent, ou épluchent des feuilles manuscrites. À cela s’ajoutent des traces plus typiquement photographiques ; empreintes de lumière, d’un corps ou d’un visage passant dans le rectangle du viseur. Tout cela passe, comme un flux qui serait le temps où s’inscrivent ces histoires. Pas de narratif, il est vrai ; mais une narration chronologique. Reste qu’il y a ici un temps sans histoire, un temps de où des visages, des membres et des corps. Mais aucune de ces images ne semble destiner à demeurer. Elles s’auréolent de flous, de lumières aux couleurs vives qui montrent bien qu’elles sont rapportées, étrangères à la surface sur laquelle elles reposent. Comme ces corps multiples d’une même personne, autoportrait de l’artiste immergée dans l’image, apparitions multipliées, dans Les yeux d’Anna.

Les références à l’inscription dessinent un rapport étroit entre écriture et cristallisation photographique. L’une comme l’autre sont affaire de traces permanentes. Le fond de la scène de l’écriture photographique est constitué d’accessoires-breloques, de petits riens pourtant pleins d’un sens pour qui se les est appropriés. Ce sont là autant de marqueurs, vides pour nous mais signifiants du point de vue de l’artiste, remplis d’un sens que nous savons être là, sans pour autant savoir de quoi il retourne exactement. Sur ce fond, un être soumis au temps passe, comme sur une scène qui ne saurait le retenir ou se souvenir de lui, qui ne saurait l’appréhender ; une scène où sa présence serait sans cesse menacée d’être un simple leurre, une impression fugace, la trace d’un ange qui passe. Cet être est Anne-Marie Zeppetelli elle-même qui fait ainsi lettre de son corps.

Anne-Marie Zeppetelli détient une maîtrise en photographie de l’université Concordia de Montréal. Plusieurs fois boursière du Conseil des Arts du Canada, elle a participé à l’exposition À suivre…, présentée dans le cadre du Mois de la Photo à Montréal en 1995. Elle a aussi exposé dans plusieurs galeries montréalaises, dont Dazibao et la Galerie Chantal Boulanger.

Sylvain Campeau est critique d’art, essayiste, conservateur indépendant et poète. Il a été, au cours du dernier Mois de la Photo à Montréal, commissaire de l’exposition À suivre… La même année, il a participé à l’événement photographique Light Year, qui s’est tenu à Winnipeg. Son dernier essai, Chambres obscures – photographie et installation, est paru aux Éditions Trois en 1995.