[Printemps 2010]
Galerie Optica, Montréal
Du 12 septembre au 17 octobre 2009
Avec Attractions, Yan Giguère récidive avec le même type de présentation qu’il avait privilégié pour Choisir, exposition fort appréciée, il y a deux ans. Là aussi, il avait opté pour une présentation en constellation, répartissant des photographies de dimensions et de rendus distincts, prises au moyen d’appareils différents. Une nouveauté, cependant : cette fois, il ne s’est pas limité à des appareils analogiques mais il a décidé d’aller aussi vers le numérique. En témoigne cette série de numérisations directes et en couleurs, ornant l’ensemble, à intervalles réguliers, d’images de même taille montrant des fleurs. Ces images, toutefois, n’ont bénéficié de l’assistance de nul appareil puisqu’il a suffi d’installer face au numériseur l’objet même.
Il est aussi une autre différence, sensible dans le libellé du titre. En 2007, il s’agissait de la difficile question de choisir, au sein des images accumulées, ce qui ferait l’objet de l’exposition. Le problème de cette sélection incombait aussi au spectateur qui devait trouver son propre parcours narratif au sein du corpus éclaté. Tout est, cette fois, affaire d’attractions, d’affinités électives, de chimie entre les images, permettant des associations, des attirances nombreuses et sans cesse à refaire, à réessayer pour donner un sens à l’opération de saisie. On sent d’ailleurs mieux, cette fois, l’effort de mises en parallèle, de mises en échos et résonances. Les images s’appellent les unes les autres, cherchent la cohabitation sensible.
Une première manifestation de cet effort est visible dans la constance d’images d’éléments végétaux. Les numérisations directes en sont. Elles sont toujours de même dimension et offrent une semblable prise, frontale et en plongée, sur une fleur épanouie. Elles sont Fleur d’Oreille de Lion, Fleur de Brugmansia, Fleur de Gloire du Matin, etc. On retrouve cette fois aussi moins d’images relatives à l’intimité même de Yan Giguère. Sa compagne, par exemple, est moins présente. On ne la voit qu’en de rares occasions bien qu’une image nous la montre dans un cadre qui nous rappelle une image de Choisir. De même une constante se manifeste plus régulièrement dans le format des épreuves : la forme carrée, en effet, revient souvent. Sans oublier que le lieu même de la galerie Optica, plus vaste, crée un rapport totalement différent. Nous pouvons plus allègrement nous promener devant les œuvres, aller et venir selon nos aises et les images elles-mêmes respirent plus facilement.
À regarder le titre des images, le doute n’est plus possible; nous sommes devant un herbier. Mais ce n’est pas qu’un catalo-gage d’herbes et de fleurs. C’est une sélection, un brin aléatoire, de moments privilégiés. Des moments de lumière touchant les choses de manière à les nimber d’étrangeté. Il y a, en effet, dans les images, de l’assemblage, de la composition inopinée. Il y a des rapprochements presque indus, forgés par la manière dont le sujet a été saisi. Prenons pour exemple cette forêt de vérins soutenant un stationnement ou encore l’image de cette bâtisse couverte d’enjoliveurs de roue, cloués sur sa façade. Germinations, radicelles, machines tentaculaires aux allures d’insecte; tout un monde de l’hétéroclite fonde un chemin, un ensemble de vues sur les choses, telles qu’elles sont ici perçues comme pour la première fois.
Il y a aussi, évidemment, de la photographie dans tout cela. Ça peut paraître un truisme de le dire mais tout est ici affaire de lueurs sur les choses, sur la manière dont la lumière caresse et révèle. Mais cela va plus loin. Par ses opérations de numérisation directe, on retourne à l’essentiel, au geste premier, à cette sensibilisation directe de la lumière dont Henry Fox Talbot fit l’expérience il y a très long-temps. Lui aussi sut soumettre des plantes de toutes sortes à une lumière qui impressionna l’épreuve photosensibilisée au ferricyanure de potassium pour donner des images bleutées.
L’angle de ces lueurs sur le sujet choisi, celui de la visée, la manière dont blanc et noir se liguent, le fait de s’approcher autant, de cadrer ainsi et non autrement, tout cela finit par donner une image de l’objet qui n’est pas celle attendue. Ce n’est pas une attitude forcée. Non! Ce serait plutôt que Yan Giguère est le photographe des vues singulières, des aspects inédits. Le sujet, la chose choisie a été ainsi rencontrée et pas autrement. Elle est venue à la vision par ce chemin impromptu. Le monde de Yan Giguère n’est pas celui des objets et des gens, des êtres naturels en leur essence mais en leur apparaître. Et cet apparaître nous en dit souvent plus long sur la vérité de ce qui est montré.
Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, ETC, Photovision et Papal Alpha]. Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.